Le
mouvement Nuit Debout, à Paris et dans d’autres villes françaises, a pour
ambition de débattre, de partager expériences et
savoir-faire en vue de construire des solutions communes pour lutter
contre la précarité, le diktat des marchés financiers, la destruction de
l'environnement, les guerres et la dégradation de nos conditions de
vie.
Mais si le débat est important, le risque existe qu'un mouvement sans structuration se disperse avec le temps. Comment concilier horizontalité des discussions et efficacité politique ? La question reste pour l'instant sans réponse…
Mais si le débat est important, le risque existe qu'un mouvement sans structuration se disperse avec le temps. Comment concilier horizontalité des discussions et efficacité politique ? La question reste pour l'instant sans réponse…
Le
mouvement Nuit Debout tire son origine d'une rencontre publique organisée à la
bourse du travail de Paris le 23 février 2016, notamment par François Ruffin,
rédacteur en chef du journal de critique sociale Fakir et réalisateur du film
Merci Patron ! Après la mobilisation contre la « Loi Travail » et la
manifestation du 31 mars, la décision a été prise d’occuper la place de la
République.
Le
mouvement tire son origine d'une rencontre publique organisée à la bourse du
travail de Paris le 23 février 2016, notamment par François Ruffin, rédacteur
en chef du journal de critique sociale Fakir et réalisateur du film Merci
Patron ! Après la mobilisation contre la « Loi Travail » et la
manifestation du 31 mars, la décision a été prise d’occuper la place de la
République.
Le
collectif de pilotage comprend une quinzaine de personnes, dont Johanna Silva
du journal Fakir, Loïc Canitrot, intermittent de la compagnie Jolie Môme, Leila
Chaibi du Collectif Jeudi noir, une syndicaliste d’Air France, un membre de
l'association Les Engraineurs, ou encore un étudiant à Sciences Po,
l’économiste atterré Thomas Coutrot et Nicolas Galepides de Sud-PTT.
A la
compétition et l’égoïsme, Nuit Debout entend répondre par la solidarité, la
réflexion et l'action collective. La politique étant l’affaire de tous,
divers sujets sont débattus :
- la politique économique et sociale (salaire à vie, revenu de base, assurance chômage, baisse des hauts revenus, plein emploi, lutte contre le plafonnement des indemnités aux prud'hommes, etc.),
- le développement de l'agriculture biologique,
- la meilleure reconnaissance des minorités,
- la démocratie par tirage au sort,
- le meilleur engagement de l'État pour l'enseignement scolaire, notamment en banlieue,
- l'accueil des réfugiés et la régularisation des sans-papiers,
- le partenariat transatlantique de commerce et d'investissement,
Mais
si ce débat est une bonne chose, il a cependant des
limites. Peut-il y avoir ensuite un réel débouché sans organisation politique
structurée ?
Cette
manifestation nocturne peut-elle accueillir tous ceux qui souffrent de la
situation actuelle ? Les salariés, en particulier qui sortent d’une
journée de travail et qui doivent se lever tôt le lendemain matin, peuvent-ils
participer pleinement ?
Emmanuel
Todd apporte un début de réponse dans un entretien au journal Fakir…
Fakir : C’est un petit truc, Nuit debout…
Emmanuel Todd : Il ne faut pas dire ça. D’abord, c’est peut-être une petite chose mais au milieu de rien. Et ça, le fait que les médias s’intéressent à cette petite chose, c’est aussi un signe du grand vide. Les journalistes, qui certes appartiennent à des grands groupes, liés à l’argent, qui certes ne remettront jamais en cause ni l’euro ni l’Europe ni le libre-échange, mais qui sont des gens diplômés, pas toujours bêtes, ils sentent ce grand vide. Ils savent qu’ils donnent la parole à des hommes politiques méprisables, inexistants, tellement creux. Eh bien, ce qui se dit, ce qui se passe place de la République, et sur les places de province, parce qu’il faut regarder l’ouest de la France, Rennes, Nantes, Toulouse, la jeunesse des villes universitaires, ce qui se dit sur ces places, pour aussi farfelus que ce soit, ça vaut toujours mieux que ce grand vide. Et il ne s’agit pas seulement de remplir des pages, de vendre du papier…
Emmanuel Todd : Il ne faut pas dire ça. D’abord, c’est peut-être une petite chose mais au milieu de rien. Et ça, le fait que les médias s’intéressent à cette petite chose, c’est aussi un signe du grand vide. Les journalistes, qui certes appartiennent à des grands groupes, liés à l’argent, qui certes ne remettront jamais en cause ni l’euro ni l’Europe ni le libre-échange, mais qui sont des gens diplômés, pas toujours bêtes, ils sentent ce grand vide. Ils savent qu’ils donnent la parole à des hommes politiques méprisables, inexistants, tellement creux. Eh bien, ce qui se dit, ce qui se passe place de la République, et sur les places de province, parce qu’il faut regarder l’ouest de la France, Rennes, Nantes, Toulouse, la jeunesse des villes universitaires, ce qui se dit sur ces places, pour aussi farfelus que ce soit, ça vaut toujours mieux que ce grand vide. Et il ne s’agit pas seulement de remplir des pages, de vendre du papier…
Fakir : Ça remplit l’âme ? C’est
l’indice d’une crise métaphysique ?
E.T. : Presque ! Et puis, pour aussi petit
que ce soit, c’est peut-être un signe avant-coureur. Regardez Occupy Wall
Street. Quelques mois après, je regardais les sondages qui paraissaient aux
Etats-Unis, les jeunes devenaient favorables à l’Etat, à du protectionnisme. Et
aujourd’hui, certes Bernie Sanders a perdu contre Hilary Clinton, mais il s’est
revendiqué du « socialisme » aux Etats-Unis, et ses thèmes font
maintenant partie de la campagne.
Fakir : Donc ça pourrait mener à un
basculement ?
E.T. : C’est sans doute une
étape dans la maturation des esprits. Déjà, si ça pouvait conduire à un
engagement simple, chez les jeunes : « Plus jamais nous ne voterons
PS ! » Je me porte beaucoup mieux, c’est une libération spirituelle,
depuis que j’ai fait ce serment pour moi-même. Je rêverais de la mise à mort du
PS. C’est peut-être ce que va nous apporter Hollande, il y a là une ouverture
pour se débarrasser du parti socialiste. Et il existe désormais un boulevard à
gauche.
Fakir : Mais ce sont des
bobos qui se réunissent ?
E.T. : C’est facile de dire ça. Les jeunes
diplômés du supérieur, c’est désormais 40 % d’une tranche d’âge. Ce n’est
plus une minorité privilégiée, c’est la masse. Il y a donc un énorme potentiel
d’extension du bobo. Et surtout, il faut comprendre, faire comprendre, que les
stages à répétition, les boulots pourris dans les bureaux, les sous-paies pour
des surqualifications, c’est la même chose que la fermeture des usines, que la
succession d’intérim pour les jeunes de milieu populaires. La baisse du niveau
de vie, c’est pour toute une génération.
Fakir : Donc la réunion des deux jeunesses
est en vue ?
E.T. : Avec un marxisme simpliste, on dirait
que oui, ça doit bien se passer, les intérêts objectifs sont les mêmes. Mais le
système scolaire, notamment, opère une stratification, il sépare tellement les
destins, trie, évalue, que la jonction ne va pas de soi. Et on voit que la
jeunesse populaire se tourne massivement vers le Front national…
Fakir : A cause, donc, d’habitudes
culturelles différentes ? La techno contre Manu Chao ?
E.T. : Je ne sais pas ça, moi. Il ne
vous aura pas échappé que je ne suis pas jeune !
C’est d’ailleurs une chose très positive : voilà quelque chose qui appartient aux jeunes. Enfin ! La société française est sous la coupe des vieux et des banques. Non seulement pour les richesses, mais pour le pouvoir surtout : le suffrage universel devient un mode d’oppression des jeunes par les vieux, qui décident d’un avenir qu’ils n’auront pas à habiter. Je milite pour la mise à mort de ma génération. Donc, l’idée d’un territoire libéré, à la fois des vieux et des banques, ça ne me déplait pas. C’est pour cette raison que l’éviction de Finkielkraut m’est apparu comme une bonne nouvelle. Jusqu’ici, je trouvais les jeunes trop gentils, au vu de la domination qu’ils subissaient.
C’est d’ailleurs une chose très positive : voilà quelque chose qui appartient aux jeunes. Enfin ! La société française est sous la coupe des vieux et des banques. Non seulement pour les richesses, mais pour le pouvoir surtout : le suffrage universel devient un mode d’oppression des jeunes par les vieux, qui décident d’un avenir qu’ils n’auront pas à habiter. Je milite pour la mise à mort de ma génération. Donc, l’idée d’un territoire libéré, à la fois des vieux et des banques, ça ne me déplait pas. C’est pour cette raison que l’éviction de Finkielkraut m’est apparu comme une bonne nouvelle. Jusqu’ici, je trouvais les jeunes trop gentils, au vu de la domination qu’ils subissaient.
Fakir : Mais dans ce mouvement, il y a
comme un refus de l’organisation…
E.T. : C’est le drame de cette
jeunesse : c’est nous, en pire. Les soixante-huitards ont découvert les
joies de l’individualisme, mais ils avaient derrière eux, dans leur famille,
une solide formation dans des collectifs : le Parti communiste, l’Eglise,
les syndicats. Là, ces générations sont nées individualistes, ce sont des
soixante-huitards au carré, quasiment ontologiques. Il n’y a même pas le
souvenir de ces collectifs forts. Et la volonté de ne pas s’organiser est
presque élevée au rang de religion.
Mais c’est terrible parce que s’ils savaient, s’ils savaient à quel point les mecs en face d’eux, les patrons, l’Etat, le Parti socialiste, les banques sont organisés. Ce sont des machines. Et moi qui suis plutôt modéré, keynésien, pour un capitalisme apprivoisé, je me souviens de la leçon de Lénine : « Pas de révolution sans organisation » !
Mais c’est terrible parce que s’ils savaient, s’ils savaient à quel point les mecs en face d’eux, les patrons, l’Etat, le Parti socialiste, les banques sont organisés. Ce sont des machines. Et moi qui suis plutôt modéré, keynésien, pour un capitalisme apprivoisé, je me souviens de la leçon de Lénine : « Pas de révolution sans organisation » !
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