Dans le Haut-Rhin, à 500 mètres sous terre,
des galeries s’effondrent lentement sur les 44 000 tonnes de déchets
hautement toxiques du centre de stockage Stocamine.
Les habitants se mobilisent pour que ces
rebuts soient extraits avant qu’ils ne contaminent la plus grande nappe
phréatique d’Europe mais les pouvoirs publics pourraient prochainement
autoriser leur ensevelissement définitif...
Sous plusieurs centaines de mètres de marnes et de sel, des mineurs revêtus d’épaisses combinaisons blanches, visages dissimulés sous des masques filtrants, arpentent sans trêve les quelque cent kilomètres de galeries où dorment arsenic, amiante, cyanure et mercure. 44 000 tonnes de ces déchets industriels dits ultimes, impossibles à recycler et d’une extrême dangerosité, sont entreposées dans un centre de stockage unique en France, Stocamine .
Creusé
dans les anciennes mines de potasse Joseph-Else, à Wittelsheim (Haut-Rhin), le
centre est fermé depuis septembre 2003. Mais sa liquidation
définitive se révèle un véritable casse-tête environnemental : faut-il extraire tous
les sacs (appelés big bags) et fûts de déchets avant de condamner le site, ou
peut-on enfouir ces rebuts toxiques 500 mètres sous terre ?
Actuellement,
le chantier se déroule selon les ordres de la ministre de l’Environnement,
Ségolène Royal, qui sont d’extraire 93 % des déchets mercuriels et de
confiner le reste (soit 42 000 tonnes de déchets) à l’aide de barrages en
béton. Mais lors de la dernière enquête publique, organisée du 7 novembre
au 15 décembre 2016, seules trois personnes parmi les 297 qui ont
participé à l’enquête se sont montrées favorables à l’enfouissement. Les neuf
communes riveraines y sont opposées, de même que le conseil départemental, le
conseil régional et les députés et sénateurs locaux.
Pourtant,
le 26 janvier dernier, la mission d’enquête a rendu un avis favorable à
l’ensevelissement définitif des rebuts, moyennant plusieurs conditions (retrait
des déchets les plus polluants, mise en place d’un système de surveillance,
etc.). Mais selon Jean-Paul Omeyer, conseiller régional du Grand-Est et
membre de la commission de suivi de site de Stocamine CSS), « on voit
très clairement dans les commentaires des commissaires-enquêteurs que ce
dossier pose question. Ils dénoncent, je cite, des promesses fallacieuses, des
engagements non tenus, des fautes techniques indiscutables et une très longue
inaction dommageable. Et ils indiquent que le déstockage doit être accéléré et
concerner tous les déchets comportant des fractions solubles, pas seulement les
déchets mercuriels ».
La décision
définitive du préfet, qui est attendue prochainement, devrait aller « dans
le sens d’enfouir les déchets », redoute Yann Flory, porte-parole du
collectif Destocamine. Ce collectif formé en 2010 réunit quatorze associations
et organisations syndicales fermement opposées à l’enfouissement. Principal
argument : les déchets risquent de contaminer la plus grande nappe
phréatique d’Europe. Comment ? « De l’eau va s’infiltrer dans les galeries,
se mélanger aux déchets toxiques et envahir toute la mine. Ensuite, cette eau
polluée va remonter jusqu’à la nappe phréatique située au-dessus », prédit
Étienne Chamik, mineur retraité à qui trente-deux années de fond ont conféré
une connaissance intime du site.
La
société Mines de potasse d’Alsace (MDPA), dont l’État est propriétaire,
reconnaît que l’ennoiement de la mine est inévitable, mais balaie l’argument.
« Dix-neuf barrages seront construits en ceinture tout autour du stockage
de déchets pour retarder de plus de mille ans la sortie de la saumure
polluée », assure-t-elle dans sa lettre d’information de
novembre 2016. Pour
Étienne Chamick, ça ne tient pas : « Tout le monde admet qu’il y aura
pollution tôt au tard. Que vont dire de nous les générations futures ? Je
ne comprends pas pourquoi l’on ne prend pas une décision de bon sens, tout
sortir et être tranquille pour toujours ! »
Au-delà
de ce risque environnemental, les opposants dénoncent une présentation
mensongère du projet. En effet, en février 1997, un arrêté préfectoral
limitait la durée du stockage à trente ans et introduisait la notion de
réversibilité, c’est-à-dire de retrait des déchets en cas de problème. Seulement,
très vite, cette promesse s’est révélée fallacieuse. Selon Étienne Chamik « Notre
mine ne se prêtait pas au stockage, car elle est creusée dans des terrains
friables, sédimentaires. J’ai tout de suite dit que les galeries ne tiendraient
pas. Mais les promoteurs assuraient le contraire, qu’on pourrait sortir tous
les déchets les doigts dans le nez pendant cent, voire mille ans. Résultat,
aujourd’hui, au bout de même pas dix-huit ans, les cavités se cassent la gueule
sur les sacs de déchets. »
Un
membre de la CFDT (Confédération française démocratique du travail) qui
souhaite rester anonyme abonde dans ce sens : « Au début, quand nous
stockions les déchets, nous laissions de l’espace sur les côtés pour la
réversibilité. Mais, au bout d’un moment, on nous a fait empiler les « big bags »
sur toute la hauteur de la galerie, et nous avons bien vu que cela rendrait le
déstockage très difficile. Nous avons compris que l’objectif du centre était
l’enfouissement définitif des déchets et nous l’avons ressenti comme une
trahison. »
Autre
explication de la défiance de la population à l’égard du site Stocamine, c’est l’incendie
de septembre 2002 dans le bloc 15. Il a fallu plus de deux mois pour
éteindre le brasier. Une enquête a révélé que ce départ de feu avait été causé
par 472 sacs non autorisés de résidus d’engrais hautement inflammables. Le
directeur de l’époque, Patrice Dadaux, a été condamné à quatre mois de prison
avec sursis et la société a dû verser 50 000 euros d’amende.
Aujourd’hui,
les opposants n’entendent pas baisser les bras et réfléchissent aux recours
possibles si le préfet se déclarait finalement favorable à l’enfouissement. Pour le moment, tant
que les puits et les galeries de Stocamine ne sont pas remblayés, le combat
continue…
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