25 octobre 2012

Qui étaient en réalité les pères fondateurs de l’union européenne ?

« Pères de l'Union européenne »Parmi les personnalités européennes qui ont joué un rôle de premier plan dans le lancement du processus d’intégration européenne, trois Français se distinguent. 

Deux sont présentés aujourd’hui comme des « pères fondateurs » de l’Union européenne : Jean Monnet et Robert Schuman. Le troisième, Maurice Lagrange, moins connu, est néanmoins célébré comme « le père du droit communautaire ».

Mais curieusement, peu d'observateurs politiques, dans l'ensemble des médias, s’interrogent sur leur passé et le bien fondé de tous les honneurs qui leur sont rendus…


Jean Monnet (1888-1979)


Originaire de cognac, négociant en spiritueux, un secteur très tôt intégré dans le commerce international, Jean Monnet a fait fortune aux Etats-Unis dans le contexte trouble de la prohibition en vigueur depuis 1919. Son enrichissement est tel qu’il est en capacité, en 1929, de créer à San Francisco la Bancamerica. L’homme d’affaires est devenu un financier international qui conseille divers gouvernements. 

En 1940, c’est lui qui va convaincre Churchill de proposer une fusion de la France et de la Grande-Bretagne. Après la capitulation de la France, il est à Londres. Non pas aux côtés du général de Gaulle, mais aux côtés du gouvernement britannique. Il n’aura de cesse d’empêcher la création de la « France Libre ».  Il va jouer un rôle d’intermédiaire entre les Britanniques et les USA, devenant peu à peu le Français que les Américains écoutent. Ainsi, il rédige, en 1943, une note, restée longtemps secrète, à l’intention de Roosevelt à propos du chef de la France libre dans laquelle il écrit : « c’est un ennemi du peuple français et de ses libertés ; c’est un ennemi de la construction européenne, en conséquence il doit être détruit (sic) dans l’intérêt des Français. »

Après la guerre, nommé commissaire au plan, Monnet, à l’inverse des efforts du moment pour encadrer et réguler l’économie, favorise les idées libre-échangistes. Sa planification est strictement indicatrice. Il n’impose pas d’objectifs. En 1946, il est le négociateur d’un accord qui ouvre le marché français à la production cinématographique américaine.

Avec l’appui et la pression des Etats-Unis (les menaces de suspension du plan Marshall vont servir de levier) qui réclament la libération des échanges européens, il va lancer l’idée de la CECA. La CECA, c’est la mise en commun de la production de charbon et d’acier de France et d’Allemagne sous l’égide d’une Haute Autorité dotée de pouvoirs supranationaux absolus. Monnet en sera le premier président. Les effets de cette mise en commun seront très bénéfiques pour les industriels du charbon et de l’acier. Et le modèle d’intégration européenne qui est lancé va servir pour la rédaction du traité de Rome de 1957. Ce modèle consiste à conférer des compétences politiques de plus en plus importantes dans des secteurs essentiels à des institutions de nature technique échappant à tout contrôle démocratique.

Ce modèle est très imprégné d’une idéologie : celle qui est née en réaction aux idées des Lumières, en réaction aux avancées démocratiques de la Révolution de 1789, qui s’est manifestée tout au long du XIXe siècle et jusqu’en 1944 contre le parlementarisme, c’est-à-dire contre cette conception de la démocratie représentative basée sur le principe proclamé par les Lumières et affirmé en 1789 : tous les pouvoirs émanent du peuple. L’assemblée parlementaire qui flanque la CECA, comme celle qui est instaurée avec la Communauté européenne est purement consultative et constituée de parlementaires choisis par les parlements nationaux. Il faut attendre 1979 pour que cette assemblée soit élue au suffrage universel et, malgré des progrès réels, le Parlement européen d’aujourd’hui n’est pas encore, loin s’en faut, un authentique parlement.

L’antiparlementarisme de l’homme d’affaires Jean Monnet va s’accorder parfaitement avec l’antiparlementarisme du catholique conservateur Robert Schumann.

Robert Schuman (1886-1963)


Après des études de droit à Bonn, Berlin, Munich et Strasbourg, il s’installe comme avocat à Metz en 1912. Devenu citoyen français en 1919, sur le conseil de son aumônier, ce catholique fervent s’engage dans l’action politique et est élu député de la Moselle en 1919. Il sera réélu sans interruption. C’est avant tout l’homme du Comité des Forges, des Wendel, des Schneider, des Laurent. 

En 1924, il est le colistier de Guy de Wendel. Parlementaire catholique ultra conservateur et anti-laïque, il milite pour le maintien du Concordat et combat les réformes du Front populaire. Il affiche sa sympathie pour les régimes corporatistes, catholiques et autoritaires de l’Autrichien Dollfuss, du Hongrois Horthy, du Portugais Salazar et de l’Espagnol Franco. Il soutient la cause croate. Le 30 septembre 1938, il applaudit aux Accords de Munich.

Il est nommé sous-secrétaire d’Etat aux réfugiés dans le gouvernement Raynaud le 21 mars 1940. Dans cette fonction, il déclare le 12 juin qu’il « faut mettre bas les armes ». Le 16 juin, il est maintenu dans le même poste dans le gouvernement Pétain.

Le 10 juillet 1940, à Vichy, à la différence de quatre-vingt héros, il participe à la suppression de la République en votant les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Il est écarté par Laval dans le gouvernement mis en place deux jours plus tard.

A l’inverse de beaucoup qui fuient l’Alsace-Lorraine annexée par le IIIe Reich, il rentre à Metz. Aux yeux des Nazis, c’est un citoyen allemand suspect. Il est arrêté et emprisonné pendant sept mois. En avril 1941, il n’est pas envoyé en déportation comme d’autres parlementaires français, mais placé en résidence surveillée dans une région de vignobles du Palatinat d’où il s’évade sans difficulté en août 1942. Il passe le reste de la guerre en se cachant dans des abbayes successivement dans le Tarn, en Ardèche puis dans la Vienne.

A la Libération, à la demande d’André Diethelm (inspecteur des finances, directeur de cabinet de Georges Mandel de 1938 à 1940 ayant rallié la France Libre dès 1940), ministre de la guerre, ce « produit de Vichy » est frappé d’indignité nationale et d’inéligibilité. Ce qui n’empêche pas ses amis mosellans de le faire siéger au comité départemental de libération où il s’efforce de freiner l’épuration. Le clergé et le Vatican interviennent en sa faveur auprès du Général de Gaulle auquel lui-même écrit le 4 juillet 1945 pour solliciter une révision de son cas. Un non-lieu est prononcé par la Haute Cour le 15 septembre 1945. Il reprend une activité politique au sein du MRP, le parti chrétien-démocrate et siège dans les gouvernements qui suivent le départ de Charles de Gaulle.

En octobre 1949, alors qu’il est ministre des Affaires étrangères, Schuman donne 20.000 francs prélevés sur les fonds spéciaux du Quai d’Orsay à Marie-Louise Vallat, l’épouse de Xavier Vallat qui fut le premier Commissaire général du Commissariat général aux Questions juives et qui purge alors une peine de dix ans de prison dont il fera à peine plus de cinq ans. Xavier Vallat avait été, avant la guerre, un des parlementaires les plus violemment antisémites. Sorti de prison en décembre 1949, il n’a pas cessé de professer ses théories antisémites jusqu’à sa mort en 1972.

Robert Schuman, en collaboration étroite avec Jean Monnet, va prononcer la déclaration du 9 mai 1950 qui annonce la création de la CECA à l’origine d’un nouvel ordre juridique, l’ordre juridique européen.

Maurice Lagrange (1900-1986)


Lorsqu’on lit son curriculum vitae sur le site de la Cour Européenne de Justice, on s’étonne du silence sur la période qui va de 1934 à 1945. Avant, ce diplômé de l’Ecole Libre des Sciences politiques, est entré au Conseil d’Etat en 1922 comme auditeur et il devient maître des requêtes en 1934. Après, il devient Conseiller d’Etat, commissaire du gouvernement pour la négociation du traité CECA, avocat général à la Cour de Justice de la CECA puis, à partir de 1958, à la Cour de Justice des Communautés européennes. Mais pendant ces années passées sous silence, que fait-il ?

Catholique fervent, ultraconservateur, il partage les idées de ceux qui militent en faveur d’une régénérescence de la nation française « gangrenée par les idées de gauche véhiculées par les judéos-maçons » selon la phraséologie commune à la droite extrême. Dès la capitulation de juin 1940, il adhère à la « révolution nationale » de Pétain et du régime de Vichy. C’est un maréchaliste convaincu. Il va publier une série d’articles dans la Revue des Deux Mondes qui témoignent de son adhésion sans réserve aux thèmes de la « révolution nationale ».

Maître des requêtes au Conseil d’Etat, il en est détaché pour devenir, en octobre 1940, fonctionnaire au secrétariat général du gouvernement. Fin 1940, il est chargé de la coordination de la cessation d’activité des fonctionnaires juifs dans tous les départements ministériels en application du statut des Juifs publié au Journal Officiel le 18 octobre. Il procède de manière rigoureuse à la mise à l’écart des 2.900 agents juifs et veille à ce qu’il y ait le moins possible d’exceptions pour les anciens combattants et les Juifs ayant rendu des « services exceptionnels ».

Lorsque l’Amiral Darlan devient vice-président du Conseil en février 1941, Lagrange devient son conseiller pour les affaires juives en charge de la coordination des mesures antijuives. A ce titre, il est l’auteur de la loi créant le Commissariat général aux Questions juives adoptée le 29 mars. De même, il est associé à la rédaction de tous les textes relatifs au statut des Juifs et à la spoliation de leurs biens, ainsi qu’à la création de l’Union Générale des Israélites de France. Il fut sans conteste un des principaux rédacteurs du droit antisémite du régime de Vichy. 

En mai 1941, il préside la commission chargée d’examiner les demandes de dérogation à la loi qui retire la citoyenneté française aux Juifs d’Algérie. En juillet, puis en novembre de la même année, il préside une conférence interministérielle chaque fois chargée de discuter de l’application du statut des Juifs. Au cours de ces réunions, il manifeste une grande dureté. Pour mémoire, le Commissariat général aux Questions juives fut l’administration de la persécution des Juifs dont 3.000 sont décédés dans des camps français, dont plusieurs milliers furent exécutés sommairement en France et dont 75.721 furent déportés vers les camps d’extermination allemands. De ces derniers, à peine 2.900 sont revenus.

En avril 1942, Lagrange retourne au Conseil d’Etat où il remplit la fonction de ministère public en qualité de commissaire du gouvernement Pétain-Laval. Après la Libération, ce passé ne fait pas obstacle à ce qu’il soit nommé conseiller d’Etat en 1945. Il est affecté à la section des Finances. Il s’intéresse alors aux questions coloniales et publie en 1948 un ouvrage intitulé « Le nouveau régime législatif de la France d’Outre-Mer ».

En1950, Jean Monnet, que le passé vichyssois de Lagrange ne dérange pas, fera appel à lui pour la rédaction du traité créant la CECA en 1951. Ce qui lui vaudra d’être nommé en 1952 avocat général à la Cour de Justice créée par ce traité. Il occupera cette fonction pendant douze années, jusqu’au 8 octobre 1964 au sein de ce qui est devenu la Cour de Justice des Communautés européennes.

Maurice Lagrange est reconnu comme un des « maîtres du droit communautaire ». Il s’est exprimé sur une soixantaine de sujets juridiques. Il a joué un rôle décisif dans l’adoption de l’arrêt Costa contre Enel (15 juillet 1964) décrétant la primauté du droit européen sur les droits nationaux. Il a contribué de manière absolument capitale à faire du droit communautaire un ordre juridique autonome qui s’impose non seulement aux Etats mais à leurs habitants. Maurice Lagange, le père du droit antisémite français devenu le père du droit communautaire européen !

S’il fallait résumer en un mot les biographies de ces trois personnalités françaises considérées comme des fondateurs de l’Union européenne,  on pourrait dire que ces trois personnages ont tous en commun le rejet du principe arraché par la révolution française de 1789 : tous les pouvoirs émanent du peuple…


Merci à notre ami Raoul Marc Jennar



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